RUES DE HANOI (I)
Quartier
Des petits métiers
D'hier et d'aujourd'hui
Du jour et de la nuit
Rues de la soie
Du sucre
De la chaussure
De la mercerie
Du carton
De la ficelle
Et des balances
Des nattes
Des montres
Du poisson grillé
Des herbes et des graines
De l'argent
Des stèles
Des décorations
Rues du bois
Du lucre
De la saumure
De la quincaillerie
Du coton
Des vermicelles
Mains qui dansent
Rues des pâtes
Des rencontres
Du papier
Pleines
De parfum d'encens
Dans chaque ruelle
Une corporation
Ville
Vies multicolores
Thanh-Vân Tôn-Thât
Illustration
de Nicolas
JOURNOUD
Illustrateur,
écrivain
et carnettiste
Trois poèmes extraits de :
LE PAYS D'AVANT
Ed. Portaparole
www.portaparole.it
1ère Édition Mars 2007.
RUES DE HANOI (II)
Le soir tombe
Très tôt
Très vite
La foule s'agite
Fin du travail
D'une rue à l'autre
Rue des chapeaux
Rue des éventails
Rue de la soie
Rue du coton
Rue du papier
Au milieu des voix
Avec son bâton
Lentement, à pied
Un aveugle s'avance
Dans sa nuit claire
Près du petit lac
Un enfant sourit
À la lune blanche
Thanh-Vân Tôn-Thât
LE PAYS D'AVANT
Le pays d'avant
Il est vert
Rizière
Pays de cocagne
De cocotiers
Pays de montagnes
De bananiers
Le pays d'avant
Il est bleu
Il est sel
Il est feu
Il est miel
Déli-ciel
Le pays d'avant
Il est doux
Il est boue
Pays de rivières
Pays de fleuves
Pays de lumières
Naguère
En guerre
Pays de veuves
Le pays d'avant
Il est fruit
Tendre
Goûté
Il est pluies
Cendres
D'été
Il est bruits
Des cités
Brûlantes
À vendre
Le pays d'avant
Il est visages
Sans âge
Villages
Paisibles
Il est facile
À voir
Difficile
À avoir
Invisible
Le pays d'avant
Il est moussons
Violentes
Il est frisson
De voix lentes
De terres
Sanguinolentes
De mers
Indolentes
De mères
Implorantes
Le pays d'avant
D'avant quoi
D'avant qui
D'avant moi
D'avant ici
Devant vous
Devons-nous
Pleurer
Pays leurré
Souvent
Enterré
Sous le vent
Effleuré
Dans les rêves
Flairé
Serré
Emmuré
Murmuré
Du bout des lèvres
En déshérence
Errance
Désespérée
Le pays d'avant
Il n'existe plus
Il est perdu
On n'a jamais su
On l'a jamais vu
On n'a jamais pu
Le prouver
Le retrouver
Le pays d'avant
Il n'existe pas
Thanh-Vân Tôn-Thât
EL PAÍS DE ANTAÑO
El país de antaño
Es verde
Arrozal
Tierra de cucaña
De cocoteros
País de montaña
De plataneros
El país de antaño
Es azul
Es sal
Es fuego
Es miel
Deli-cieloso
El país de antaño
Es suave
Es lodo
País de arroyos
País de ríos
País de luces
No ha mucho 1
En guerra
País de viudas
El país de antaño
Es fruta
Tierno
Saboreado
Es lluvias
Cenizas
De verano
Es ruidos
Ciudades
Prendiéndose en llamas
Se vende
El país de antaño
Es rostros
Sin edad
Pueblos
Tranquilos
Es fácil
De ver
Difícil
De poseer
Invisible
El país de antaño
Es monzones
Violentos
Estremecimiento
De voces lentas
De tierras
Sanguinolentas
De mares
Indolentes
De madres
Suplicantes
El país de antaño
De antaño a qué
De antaño a quién
De antaño a mí
De antaño a aquí
Frente a Ustedes
Hemos de
Llorar
País engañado
A menudo
Enterrado
Bajo el viento
Acariciado
En sueños
Olfateado
Apretado
Emparedado
Murmurado
Con la punta de los labios
En desherencia
Errante 2
Desesperada
El país de antaño
Ya no existe
Se perdió
Nunca supimos
Nunca lo vimos
Nunca pudimos
Demostrarlo
Volver a encontrarlo
El país de antaño
no existe
Thanh-Vân Tôn-Thât
Traduit en espagnol par
François BONFILS, à Toulouse, le dimanche 6 avril 2025, en hommage à l’amie de trente ans, heureusement jaillie d’Orphée par elle-même évoqué, en notre prime jeunesse, lors d’un congrès littéraire tenu en Sorbonne.
Elle séduisit mon âme par son discours proustien. Orphée ! Lui, le héros divin, dont Than-Vân Ton-Thât partage si souvent la lyre.
(1) Le lecteur s’attendrait certainement à « no hace mucho », mais retrouvons, grâce à Than-Vân Ton-Thât, l’une des plus célèbres phrases de la langue espagnole, l’incipit de la première partie de Don Quichotte [1605] du « manchot de Lépante », LE grand romancier du Siècle d’Or, Miguel de Cervantès [1547-1616] et sa morphologie verbale classique :
« En un lugar de la Mancha, de cuyo nombre no quiero acordarme, no ha mucho tiempo que vivía un hidalgo de los de lanza en astillero, adarga antigua, rocín flaco y galgo corredor » (« Dans une bourgade de la Manche, dont je ne veux pas me rappeler le nom, vivait il n’y a pas longtemps, un gentilhomme, de ceux qui ont lance au râtelier, bouclier antique, maigre roussin et lévrier chasseur » [Nous traduisons] ).
(2) Choisissons l’adjectif plutôt que le substantif, afin de faire résonner, dans la poésie de Than-Vân Ton-Thât, le célèbre « errante » castillan, qui saisit encore d’émotion Federico García Lorca à l’aube du XXe siècle : premier vers « Au Duc de Béjar »,
au commencement des Solitudes de celui qui fut certainement le plus important poète du Siècle d’Or espagnol, Luis de Góngora [1561-1627], sans doute le plus beau et le plus difficile de toute l’écriture baroque européenne : « Pasos de un peregrino son errante / Cuantos me dictó versos dulce Musa, / En soledad confusa / Perdidos unos, otros inspirados ».
(« Ce sont les pas d’un pèlerin errant / Ces vers que douce Muse me dicta / En la confuse solitude / perdus les uns, les autres inspirés » [Nous retraduisons, malgré les trouvailles d’illustres inspirés qui nous ont précédé, du poète Philippe Jacottet (1925/2021, traducteur des Solitudes en 1984) au professeur Robert Jammes (1927/1920, traducteur à son tour des Solitudes en 2017).
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